Ordinaire

Octobre 2025. Je me promène avec mon fils sur la place de la ville. A notre droite, une baraque à frites. Derrière nous, l'église Saint-Léger, toute de brique rouge, comme la mairie en face.

Dans cette architecture, un nordiste qui y serait catapulté, sans savoir précisément où il est, reconnaîtrait immédiatement ce coin de France, qui n'a pas tant changé depuis que j'ai quitté le Nord. Catapultée, c'est bien la situation de Marie-France. Elle s'est endormie, dans le bus ou dans le train, et se réveille dans un lieu inconnu, ne sachant pas comment rejoindre Armentières, sa destination. Ne connaissant pas bien les lieux, nous ne pouvons que lui indiquer l'hôtel de ville, où sans doute, on pourra la renseigner.

Nous reprenons notre marche. Au bout de quelques temps, nous nous apercevons que Marie-France nous suit. En fait, elle n'a pas compris le lieu que nous lui avions indiqué. Sa mésaventure n'a rien d'extraordinaire. Combien de fois ai-je remercié chaleureusement un inconnu qui m'indiquait le chemin pour me retrouver perdu deux minutes plus tard ? Je décide donc de la conduire jusqu'à l'accueil de la mairie. Elle se confond en remerciements, qui prennent soudain une tonalité étrange: vous savez, me dit-elle, je suis française, comme vous. Je suis noire, mais je suis française. Mon mari est français, enfin, il est blanc. Nous conduisons Marie-France à la mairie.

Nous sommes à Pérenchies, en octobre 2025. Le maire de la ville se prénomme Karim. Comme dans bien d'autres villes de la métropole lilloise, c'est un ancien adhérent du parti socialiste. Ici, les kebabs sont des friteries comme les autres, les parts de frites sont servies généreusement. Juste un endroit normal, en somme. Et pourtant, en octobre 2025, une femme noire d'âge moyen se sent obligée d'expliquer à deux hommes blancs qu'elle appartient à la même humanité.

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