Voilà, c'est fini. Le mercredi 6 novembre 2024, je me lève à 4h en espérant apprendre la victoire de Kamala Harris, peut-être une belle victoire bien large. C'est tout l'inverse qui s'est produit. La victoire de Trump est nette, non pas malgré tous ses défauts, mais peut-être grâce à tous ses défauts, son outrance, son arrogance.
Bien sûr, au fond de moi, je sais pourquoi il a gagné. La lecture de Thomas Frank m'a appris "pourquoi les pauvres votent à droite" aux Etats-Unis, et j'aurais dû m'inquiéter de cette fin de campagne, pleine du vacarme des stars millionnaires qui exhortent les pauvres à voter pour la championne progressiste, qui jure qu'elle n'est ni marxiste, ni socialiste, pas plus que ne l'était, en son temps, le projet de Saint Jospin.
Malgré cela, je veux surtout retenir l'espoir qu'elle a su nous donner pendant quelques temps, que l'esprit de fraternité pourrait l'emporter sur le ressentiment, et que la joie serait plus entraînante que les passions tristes.
Je sais bien qu'ici, à gauche, en tirera, peut-être une larme, mais sans doute sa petite morale prévisible.
Jean-Luc Mélenchon fustigera la molesse tandis qu'Olivier Faure, comme tout premier secrétaire du PS qui se respecte, brûlera vite un cierge pour l'avènement de la gauche européenne. Sur youtube, la comédienne et humoriste Desi Lydic dézingue avec tristesse et drôlerie la cohorte de tous ceux qui savent ce qui a perdu la candidate, avec des motifs évidemment contradictoires.
L'espoir, selon Verlaine, luit comme un brin de paille dans l'étable. En cette triste journée, il me viendra du dernier film de François Ruffin et Gilles Perret: Au boulot ! Dans ce reportage étonnant, François Ruffin s'est donné mission de réinsérer les riches, en l'occurence une riche, l'extravagante Sarah Saldmann. Pour ceux qui ne l'ont jamais vue, le personnage de Sarah, à moins qu'il ne s'agisse de Sarah Saldmann elle-même, est une jeune femme qui n'a jamais connu que le luxe, dont le rapport à l'argent confine à l'absurde, et qui n'a pas de mot trop dur pour fustiger les feignants et les assistés. Bref, sur les plateaux télés, l'avocate foutraque est une bonne cliente. C'est là qu'elle croise un jour François Ruffin, qui finit par l'embarquer dans un road-trip au pays des vrais gens et vivre quelques instants de la vie de cette France qui travaille dur pour gagner peu. Elle livre donc des colis, met des poissons en sachets, nettoie les sanitaires, etc. Elle discute aussi avec ces gens, des jeunes, des moins jeunes, une retraitée qui reprend le boulot pour pouvoir payer des trucs à ses petits enfants. Bien sûr, Sarah Saldmann n'est pas insensible. Avec elle, on pleure, un peu honteux, bien contents qu'elle soit là, devant la caméra, pour figurer plus bourgeois et plus favorisé que nous. Miraculeusement, il y a quelques instants de grâce où des femmes qui d'ordinaire vivent littéralement dans des univers parallèles, se retrouve fugacement liées dans une commune humanité. Les témoins que François Ruffin nous présente sont, comme le titre du film l'indique, en emploi. Alors peut-être, suggère Sarah Saldmann, qu'eux ne sont pas comme les autres, qu'ils ne sont pas résignés, qu'ils ne sont pas les vrais assistés. Mais François Ruffin recadre les choses, explique les accidents de vie, qui, un moment, vous assomment, et l'utilité des minima sociaux pour ne pas sombrer complètement. Je repense au beau livre de Michel Pouzol, "Député, pour que ça change", où il raconte son histoire, de l'emploi à la grande pauvreté, puis de la pauvreté à la députation. François Ruffin va-t-il réussir à réinsérer Sarah Saldmann ? Oui et non. Mais, comme le dit François Ruffin, Sarah Saldmann n'est pas l'héroïne du film, les vrais héros, ce sont les gens ordinaires, à la vie dure, mais qui, plutôt que d'être envahis par le ressentiment, trouvent le chemin des solidarités.